Johannesburg - 2021 est bel et bien l’année où l’Afrique du Sud a sombré dans le chaos. Emeutes, destruction, pillages, incendies et assassinats. Ce pays d’Afrique australe a fait face, en juillet dernier, à l’un des épisodes les plus violents de son histoire, suite à l’incarcération de l’ancien président Jacob Zuma.
Des images d’une violence inouïe provenant de la nation arc-en-ciel ont laissé les observateurs perplexes. L’équilibre fragile de la société sud-africaine est parti en éclats, déclenchant une vague de violences sans précédent dans le pays.
La situation a été tendue dès fin juin après la condamnation de l’ancien chef d’Etat à 15 mois de prison pour outrage à la Justice. Cette décision est intervenue suite à son refus de respecter la décision de la Cour Constitutionnelle, la plus haute juridiction du pays, d’apporter son témoignage concernant les accusations de corruption portées contre lui.
Au KwaZulu-Natal, fief de Zuma, la tension a monté d’un cran avec des centaines de partisans rassemblés devant la résidence de leur leader pour lui exprimer leur soutien et éventuellement empêcher les forces de police de l’incarcérer.
Après que M. Zuma ait décidé de se rendre à la police, les manifestations ont rapidement dégénéré en actes de violence. Faisant fi de l'État d'urgence en vigueur dans le pays et des restrictions sévères imposées pour faire face à la troisième vague de la pandémie de la Covid-19, les foules de pillards et de malfaiteurs ont pris d'assaut les principales villes sud-africaines, créant une situation de panique dans tout le pays.
À Durban, Pietermaritzburg ou encore à Johannesburg, centre économique du pays, les émeutiers ont bloqué les principales routes, incendié des voitures et des camions et pillé les magasins, les centres commerciaux, les grandes surfaces et autres dépôts de stockage de marchandises. Même les pharmacies n’ont pas échappé à leur colère. Le bilan humain est très lourd avec plus de 350 morts à cause notamment des bousculades, alors que les pertes économiques directes sont évaluées par le gouvernement à plus de trois milliards de dollars.
Des foules ont été vues repartir avec des véhicules remplis avec toutes sortes de produits volés, y compris du mobilier et des appareils électroménagers, dont des téléviseurs, des machines à laver et des réfrigérateurs.
Face à cette situation de désordre généralisé, les éléments du Service de police sud-africain (SAPS) et les sociétés de sécurité privés ont été débordés, laissant libre cours aux pillards de voler à leur guise.
Dans la foulée de ces événements dramatiques, des tensions raciales se sont déclenchées dans la province du KwaZulu-Natal entre les communautés Noire et indienne. Selon des chiffres officiels, au moins 15 personnes ont été tuées dans des affrontements entre les deux camps.
Le ministre de la Police, Bheki Cele, a fait savoir que "ces tensions semblent être alimentées par certains résidents armés qui ont formé des groupes d'autodéfense pour protéger les propriétés privées et les magasins contre le pillage".
Dans ce contexte très délicat, le gouvernement sud-africain avait enfin décidé de déployer un total de 25.000 soldats pour assister les forces de l'ordre dans les deux provinces les plus affectées, Gauteng et le KwaZulu-Natal.
Après la tempête, l’heure est au bilan. La ministre des Petites entreprises, Khumbudzo Ntshavheni a révélé que le pays a perdu plus de 50 milliards de rands (plus de 3 milliards de dollars) à cause de ces troubles, soit environ 1% de son PIB.
Mme Ntshavheni a également détaillé que près de 200 centres commerciaux, 300 magasins, 1.400 guichets automatiques bancaires, 300 banques et bureaux de poste, ainsi que 120 pharmacies ont été vandalisés et saccagés dans les deux provinces affectées.
L’ampleur de la dévastation a frappé ainsi de plein fouet l’économie du pays qui éprouvait déjà de grandes difficultés à renouer avec la croissance. Selon plusieurs experts, l’Afrique du Sud a besoin de longues années pour se rétablir des effets néfastes des violences et des pillages qui l’ont secouée pendant près de deux semaines.
"Les émeutes ont aggravé davantage les difficultés économiques du pays, causées par une croissance en berne et l'impact de la crise sanitaire de la Covid-19", a déploré Kenneth Creamer, professeur d'économie à l'Université de Witwatersrand (Johannesburg), notant que la reconstruction sera désormais beaucoup plus difficile à réaliser.
Même son de cloche chez l'analyste économique indépendant Bonke Dumisa, qui a regretté que "le sabotage économique criminel, sous forme de pillage et d'anarchie, ait coûté au pays des pertes estimées à des milliards de dollars", notant qu'il faudra des années pour remettre l'économie sur les rails.
L’agence de notation internationale Standard & Poor a estimé, pour sa part, que les troubles sociaux de juillet devraient réduire d'environ 0,7% la croissance du Produit intérieur brut (PIB) du pays en 2021.
Face à ces perspectives peu prometteuses, les prochaines années s’annoncent très pénibles pour l’Afrique du Sud. Le gouvernement est devant un défi de taille : sortir l’économie du marasme et redonner confiance aux investisseurs qui semblent fuir un pays où l’instabilité, l’insécurité, le chômage et les inégalités sociales battent tous les records.