Par Issam Elgreni
L'affaire de dopage qui a secoué la Russie ces deux derniers mois, avec un dénouement rappelant le souvenir encore frais des sanctions infligées au sport russe au sortir des Jeux Olympiques d'hiver de Sotchi, risque d'assombrir l'avenir du sport dans le pays des Tsars.
L'Agence mondiale antidopage (AMA) a décidé à l’unanimité, le 9 décembre, d'infliger à la Russie une sanction sévère, validant ainsi les recommandations formulées par son comité de conformité qui prévoient notamment d'exclure le pays des principaux événements sportifs mondiaux pendant quatre années.
En vertu de cette décision, la Russie ne pourra pas participer notamment aux prochains JO d'été et d'hiver (2020 et 2022) et à la prochaine Coupe du monde de football en 2022, ni accueillir ou se porter candidate à l'organisation d’évènements sportifs mondiaux et ses dirigeants ne pourront plus assister à des compétitions ni siéger dans les fédérations internationales.
A l'origine de ces sanctions, une procédure lancée par le Comité exécutif de l’AMA pour "non-respect du code international antidopage par l’Agence antidopage russe (RUSADA)", après une manipulation supposée des données du laboratoire antidopage de Moscou datant de la période entre 2012 et 2015, qui auraient permis d'identifier des centaines de sportifs russes dopés, alors que la remise de l'intégralité des données brutes des contrôles était la condition sine qua none pour la réintégration de la RUSADA depuis 2015 au sein de l’AMA.
Cette décision a provoqué, dès son annonce, un séisme au sommet de l’Etat russe, comme en témoignent les déclarations du président Vladimir Poutine, qui a souligné que cette mesure est « politiquement motivée et contredit la charte olympique », ou encore du Premier ministre, Dmitri Medvedev, qui a fustigé «l'hystérie antirusse », tout en reconnaissant des « problèmes sérieux de dopage dans le sport russe ».
Plusieurs responsables sportifs ont également condamné "le caractère sévère" de la sanction de l’AMA, tout en appelant à réagir pour empêcher le sport russe de sombrer, comme le directeur général de la RUSADA, Youri Ganus, qui a appelé à nommer « de nouveaux dirigeants sportifs russes auxquels les athlètes doivent croire », ou le chef de la commission de la culture physique, les sports, le tourisme et la jeunesse à la Douma, Mikhail Deryarev, qui a appelé à « punir tous les officiels dont les actions ont nui aux intérêts des athlètes russes ».
La vigueur de cette réaction est justifiée par le souvenir encore frais des sanctions prononcées à l'encontre de la Russie à l'issue des JO d'hiver de Sotchi de 2014, qui avaient notamment forcé le pays à participer aux JO de Rio de Janeiro en 2016 et de PyeongChang en 2018 sans drapeau ni hymne national.
La réaction est également vive car le pays vient d'organiser une Coupe du monde de Football 2018 réussie et il a été félicité par tous les dirigeants sportifs du monde pour la qualité des infrastructures et de l'organisation, ce qui présageait que la Russie devrait accueillir d'autres manifestations sportives mondiales majeures, comme les JO de 2032.
Mais ces sanctions viennent sonner le glas de cette embellie sportive et freiner l'élan d'un des géants du sport mondial, habitué à occuper le haut des tableaux de médailles des Jeux Olympiques d'été comme ceux d'hiver, et priver plusieurs athlètes russes de voir leur drapeau hissé et leur hymne national entonné peut être pour la dernière fois de leurs carrières, comme la triple championne du monde de saut en hauteur, Maria Lasitskene, qui a souligné dans une tribune qu'elle avait été « privée de drapeau russe depuis 2015 » soit « l'essentiel de sa carrière sportive » et qu'avec les sanctions de l’AMA, elle ne le retrouverait qu’en 2024.
Moscou dispose toutefois d'un droit d'appel devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), qu'elle devrait utiliser dès la réunion du Conseil de surveillance de la RUSADA avant la fin de l'année, alors que l'examen de la question devrait prendre trois à quatre mois.
Un mince espoir qui ne devrait pas cacher la nécessité pour la Russie de s'investir dans un large chantier d'assainissement du domaine sportif à toute échelle, afin de recouvrer sa place parmi les nations et préparer l'avenir avec sérénité.